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 Quand la nuit tombe et ne se relève pas.

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Ania Bint Fella

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Ania Bint Fella


MessageSujet: Quand la nuit tombe et ne se relève pas.   Quand la nuit tombe et ne se relève pas. EmptyMer 1 Oct - 19:34

Les soleils régnaient sans partage sur le ciel de verre, voûte livide et éthérée qui prenait appui sur les quatre coins du désert. Pas une seule traînée de coton ne s'accrochait à la vitre céleste. Et les rayons frappaient sans pitié la surface du monde, comme autant de traits fichés sur la carcasse endormie d'une géante, s'enfonçant dans sa chair pour la garder chaude et douce. Le désert était une femme. Plutôt, le désert était toutes les femmes, en une seule. Corps ensommeillés entremêlés, cuisses promontoires, seins en érection, bras repliés pour servir de coussins aux lourdes têtes, chevelures battues par le vent qui ondulaient à l'infini ; dunes féminines embrassées par le zéphyr, tétins de sable appelant à l'amour. Toujours changeant, jamais constant, le désert aime et trahit – et comme une femme, jamais ne se hait.
Bringuebalée sur sa monture improbable, Ania baisait des yeux l'océan de sable dans lequel elle évoluait ; de gauche à droite et de droite à gauche, elle était balancée par la houle nonchalante du dromadaire, qui fendait le sable comme un navire les vagues, et dont la tête fière et ridicule s'élevait en proue majestueuse. La gamine porta à sa bourse une main tatouée pour en sortir quelques petits cailloux ronds comme des perles, avant de les enfourner dans sa bouche, franchissant la barrière de ses lèvres gercées. Aussitôt la salive afflua à nouveau, et respirer fut un combat moins fatiguant. Qui eut cru que seulement deux heures auparavant le froid gelait les collines mouvantes et que la nuit étendait son aile sur le monde ? En vérité, il est difficile de croire seulement à l'ombre quand le jour est levé, et la nuit précédente n'a pas plus de réalité que celle qui adviendra demain. De la même manière que l'eau qu'elle transportait dans son dos ne semblait être que le souvenir encore vivace d'un rêve étonnant. La fille fit tourner les billes derrière sa langue et les orbes de son regard se perdirent dans la lumière du désertique, entre les pans des voiles bariolés qui la protégeaient des yeux de Do'rea. Elle était entière. Dans le branle régulier de son train, elle somnolait, toute emplie d'un sentiment de plénitude absolue. La destination lui importait peu, Ani voulait le voyage.

Étouffée dans la gangue de chaleur, elle savourait ses sensations ; celles de ses mains brûlées par les rênes, de sa peau rafraîchie régulièrement par des vagues de transpiration, de ses yeux bécotés par le vent, de la vague des étoles contre son corps délicat, du souffle rauque du dromadaire entre ses cuisses. Aspirée dans la réalité sensible, Ania ne raisonnait plus avec des idées abstraites : elle vivait, simplement. Cela lui permettait de n'avoir jamais l'esprit ailleurs, ce qui est le fléau du commun et l'empêche de profiter de l'instant.

Une aiguille en érection troubla le calme voluptueux du désert, et Ania mit le cap vers elle. Elle se rendit bientôt compte de ses sens l'avaient abusée : ce n'était plus une aiguille minuscule, mais un dé à coudre, de dimension fort respectable, qui fendait l'horizon lorsque les astres arrivèrent au point le plus haut du ciel.
Allongée sur une natte bariolée, la nomade se reposait à l'ombre des tentures bleues qu'elle avait dressées pour midi, et regardait curieusement cette irrégularité du paysage. Une gorgée de kawa la distrayit un instant et puis elle avala quelques dattes séchées, qui fondirent sur sa langue et ses dents ; Malhala lança une série de braiments, couché sur le sable brûlant. Ani se retourna sur le ventre et finit de boire le breuvage amer et corsé qu'elle aimait tant, avant de sortir d'une de ses poches une longue pipe en bois. La tige était incurvée, et terminée par une tête gravée de dessins géométriques, au fourneau rond. A l'aide d'un morceau de verre agissant comme une loupe, l'adolescente fit fumer les herbes séchées, qui bientôt devinrent incandescentes et âpres en bouche. La fumée grise dévala le gouffre de sa gorge pour se noyer dans ses poumons étroits, avant qu'elle ne soit vomie par les naseaux et ne disparaisse dans le vent. Ania adorait fumer. C'était ordinairement l'apanage des hommes ou des femmes âgées, mais la gamine faisait fi des conventions. Cette herbe était également la première denrée troquée avec les ghildes – le tabac ne poussait que dans l'oasis Zë'ret, tout comme le kawa, breuvage cependant relativement moins apprécié en ville, où le thé lui menait une concurrence rude.
Profitant de la protection de sa tente, Ania fit glisser les étoles de tissus de son visage, libérant du même coup ses cheveux frisés qui jaillirent des voiles en une vague mousseuse. Le vent glissa ses longs doigts dans les mèches désorganisées, les ébroua, et sécha la sueur qui collait la poussière à sa peau. La petite Ze'rët ferma les yeux.

La falaise s'érigeait devant elle, écrasante de verticalité. Jamais Ania n'avait approché pareil géant, et elle en restait abasourdie ; on devait voir le bout du désert de là-haut. Et la ville formidable creusait la roche pour s'y nicher, la gangrenant de ses tunnels, s'enfonçant au plus profond de la montagne, pour fuir les soleils qui cognaient la pierre de leur regard incandescent. L'esprit emplit de fantaisies, la nomade se remit en route en direction de la cité troglodyte. Parvenue aux portes de la ville, elle descendit de son dromadaire et le guida par les rênes pour s'engouffrer dans l'ombre des couloirs, noyée dans la foule de citadins et de voyageurs. Presque personne ne manifestait d'attention particulière pour cette minuscule jeune fille, cachée sous ses lourds voiles et ses vêtements mille fois trop grands pour elle, et elle en profitait pour déambuler librement dans les couloirs de grès. Arrivée sur une place gigantesque, au centre un peu surélevé par rapport à la périphérie, et construite en cercle autour d'un puits central, Ania sentit sa mâchoire se décrocher ; le sol était recouvert d'une formidable mosaïque organisée en spirales, dans laquelle étaient creusés des canaux nourrissant les abreuvoirs des montures. Jamais la jeune nomade n'avait assisté à une telle domestication des eaux ! Elle attacha Malhala près d'un abreuvoir, dut payer un gamin pour le surveiller avec une perle brillante, puis partit explorer la cité de l'ombre.
La ville était construite en étages, et à chaque pallier un nouvel univers se découvrait à la petite, émerveillée. Jamais ses yeux n'avaient observé une telle profusion de couleurs, et son nez une telle gallinacée d'odeurs ; et surtout, c'était la première fois qu'elle sentait l'ombre fraîche au plein jour. Nu'Rasi était la ville de la nuit éternelle, recluse derrière ses murailles et perdue dans un océan de feu. Bien loin de la chaleur des gens du désert, chez qui le mot solidarité prenait tout son sens, les citadins allèrent sans yeux pour elle le jour durant, et à la nuit tombée leurs doigts errants se resserrèrent autour du cordon des aumônières, craignant pour leurs biens mal acquis. Ani écuma les quartiers des artisans, des teinturiers, la foire perpétuelle et les marchés de troc jusqu'à bien tard dans la soirée, et vit les rues se vider progressivement, alors qu'elle descendait toujours plus profond dans le ventre de la mère Gaïa.

C'est en songeant à Malhala le placide dromadaire qu'elle se rendit compte qu'elle ne saurait pas revenir sur ses pas. Ania était perdue. Elle n'avait pas pensé que cela pourrait lui arriver. Fille des grands espaces, la Zë'ret savait toujours se repérer au dessein du ciel nocturne ou bien aux traces d'eau souterraine ; mais sous terre les étoiles n'existaient pas, et la pierre restait stérile et vierge de toute marque...

L'adolescente fluette s'assit sur les grosses marches d'un escalier taillé d'un bloc, et attendit que quelqu'un vienne. Naïve.
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Quand la nuit tombe et ne se relève pas.

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